Nous ne voulons pas le plein emploi,
mais une vie pleine!
Lorsqu’un ménage s’équipe d’une machine à laver, on nentend jamais les membres de la famille, qui devaient auparavant faire la lessive à la main, se plaindre que cela les prive de leur travail. Mais, chose curieuse, si un développement semblable se produit à un niveau social plus large, cest considéré comme un problème grave le chômage qui ne peut être résolu quen inventant de nouveaux boulots.
Les projets de partager du travail en établissant une semaine de travail un peu plus courte semblent, à première vue, aborder la question de façon plus rationnelle. Mais ces projets naffrontent pas lirrationalité fondamentale du système social basé sur les rapports marchands. Tout en réagissant contre une des manifestations de cette irrationalité (le fait que certains travaillent beaucoup alors que dautres sont sans travail), ces projets tendent en réalité à renforcer lillusion que, pour sa plus grande part, le travail actuel est normal et nécessaire, comme si le seul problème était que, pour quelque étrange raison, le travail est partagé inégalement. Labsurdité de 90% des boulots existants nest jamais évoquée.
Dans une société rationnelle, lélimination de tous ces boulots absurdes (pas seulement ceux qui contribuent à la production ou à la vente de marchandises ridicules et non nécessaires, mais aussi ceux, beaucoup plus nombreux, qui sont impliqués directement ou indirectement dans la promotion et la protection du système marchand) réduirait les tâches nécessaires à un niveau si dérisoire (probablement moins de 10 heures par semaine) quon pourrait se les répartir volontairement et coopérativement, sans quil soit nécessaire de recourir aux stimulations économiques ou à la contrainte étatique(1).
Certaines actions récemment menées en France (qui, comme dhabitude, nont pratiquement pas été mentionnées dans les médias américains) font un contraste rafraîchissant avec les appels progressistes en faveur de légalité dans lesclavage salarié.
En décembre 1997 et janvier 1998, des dizaines de milliers de chômeurs ont manifesté dans des dizaines de villes françaises, occupant souvent des bureaux de lANPE, des CAF, des antennes Assedic, des agences des services publics (électricité, gaz...), des études dhuissiers, envahissant des magasins et restaurants chics, et investissant des supermarchés pour sy servir gratuitement. Ce mouvement, quoique bien plus audacieux que les actions des chômeurs aux États-Unis, est resté malheureusement en grande partie sous le contrôle des associations de chômeurs officielles (dominées par le parti communiste, les partis gauchistes et les syndicats). Cependant, nombre doccupations ont été effectuées à linitiative dindividus qui commençaient à se passer des porte-parole officiels: à parler et à agir pour eux-mêmes.
Cette tendance radicale sest montrée particulièrement active à la mi-janvier à Paris, quand des chômeurs ont brièvement occupé la bourse de commerce et lÉcole normale supérieure, puis (lorsque la police les a obligés à sortir) un amphithéâtre de luniversité de Jussieu. Bien que cette occupation fût évidemment tout aussi illégale que les précédentes, les autorités universitaires nont pas appelé la police, et des assemblées de 100-200 participants y ont eu lieu tous les jours pendant les deux mois et demi suivants.
Alors que la plupart des occupations du mouvement officiel avaient été brèves, contrôlées bureaucratiquement et symboliques (destinées simplement à faire pression sur le gouvernement pour quil accomplisse certaines réformes), les occupants de Jussieu ont voulu créer un forum permanent pour le débat public. Ils ont ouvert leur assemblée à tout le monde, plutôt que de la limiter aux seuls chômeurs, et ont commencé à chercher des liens avec dautres terrains.
Les participants se sont accordés sur deux principes de base: que les luttes soient menées de façon autonome (les partis, les syndicats et dautres organisations hiérarchiques étaient reconnus comme les ennemis de toute lutte vraiment radicale); que le salariat soit remplacé par lactivité à la fois libre dans son contenu et auto-organisée.
Lassemblée de Jussieu na pas prétendu représenter qui que ce soit; elle a simplement servi de lieu de rencontre où les gens pouvaient discuter de tout ce quils voulaient et, si lenvie les en prenait, se joindre à dautres individus intéressés à réaliser tel ou tel projet particulier (tracts, balades, etc.). Toute une série dactions plus ou moins impromptues ont été menées par des bandes baladeuses de quelques dizaines de personnes, qui pouvaient, par exemple, aller interrompre un défilé de mode ou jeter des tomates pourries sur un huissier; puis envahir un supermarché et contraindre les propriétaires à leur faire don de quelques paniers de nourriture; puis prendre le métro pour aller dans un autre quartier afin de distribuer des tracts ou bomber des graffitis (Le temps payé ne revient plus! Nous ne voulons pas une part du gâteau, nous voulons la boulangerie!); et rentrer en fin de journée à Jussieu pour discuter les aventures du jour.
Dans les pages suivantes, nous avons traduit quelques extraits de leurs tracts et communiqués. Nous les diffusons parce que nous pensons quils pourront être utiles à des gens dans dautres pays qui sont confrontés à des situations semblables. Et non pas (comme il arrive si souvent avec le reportage international radical) pour les assommer avec le spectacle dévénements exotiques et dont on grossit limportance: un tel spectacle donne limpression que la révolution consiste en des actions surprenantes et permanentes, qui ne peuvent être réalisées que par dautres quelque part de lautre côté de la planète.
Nous ne pensons pas que la France soit à la veille dune révolution. Les actions décrites ici nont impliqué quune toute petite minorité de la population, et déjà le mouvement semble retomber: aux dernières nouvelles, lassemblée de Jussieu na plus lieu que deux fois par semaine. Mais nous pensons que bien des participants ont découvert là que la vraie vie commence avec des expériences personnelles. Et de telles expériences mènent parfois à des choses plus grandes.
BUREAU OF PUBLIC SECRETS
Avril 1998
Il se passe quelque chose de pas ordinaire dans ce pays. Si peu ordinaire que les
médias, les politiques, les syndicats ont décidé de faire silence sur ces
événements... Voilà en effet deux mois que Jospin a opposé un refus catégorique aux
revendications des chômeurs, que les syndicats et associations officielles leur ont
recommandé de rentrer chez eux, que la presse les ignore totalement, que la police les
réprime, parfois seulement pour de banales diffusions de tracts...
Pourtant, presque partout dans ce pays, des individus se sont regroupés en bandes, en collectifs, en assemblées et ont commencé à se parler comme ils lentendaient, directement, librement.
Nous sommes de ceux qui participent à lassemblée de Jussieu. Voilà un mois et demi que se tient tous les soirs une sorte de forum permanent qui invente lui-même les conditions de sa continuation... On sy parle et surtout on sy écoute. Cest ainsi que sy mêlent et sy entendent des chômeurs, des précaires, des salariés, des étudiants, des lycéens, des RMIstes, des canailles, des militants, des syndiqués, des membres de parti ou dassociation, des rien de tout... Si nous metton des guillemets à toutes ces catégories, cest justement parce ce quà nous parler, nous nous sommes rendus compte que nous existions tous et chacun bien au-delà de ces catégories dans lesquelles on veut nous enfermer et souvent nous opposer... Quau delà de notre fonction sociale particulière, nous étions des êtres entiers, sujets dune histoire commune, dune oppression commune, mais aussi animés de besoins, de désirs, de questionnements qui pouvaient être communs.
Nous nous sommes alors mis à discuter de TOUT. Et dabord de ce qui bouffait nos vies. Que ce soit le travail et son inutilité (en faisant linventaire de la production de cette société, nous avons constaté quà 90% elle produisait de la merde et de linutile), ses miettes de salaires, sa hiérarchie, son horreur quotidienne... Que ce soit le chômage, avec sa misère et son ennui, quen discutant nous avons reconnu comme un moment du travail, par la menace permanente quil fait courir sur la tête de chaque salarié, le forçant à se soumettre par le chantage à la thune, à la faim.
Nous avons aussi parlé de largent, du commerce, de la société qui les imposait, mais encore du sale air quon respire, de la santé, de lalimentation... Et il nous est paru clair que dans cette société, par quelque bout quon labordait, on ne pouvait changer un détail sans devoir transformer la totalité. Que tout était lié à la pensée de largent, au profit, et que nous, êtres humains, nétions considérés dans ce monde que comme de vulgaires marchandises, payées plus ou moins misérablement, exploitées, expulsées, jetées après usage... Tout cela on se lest dit, petit à petit, et on a décidé de le communiquer...
On écrit donc des textes, des tracts, mais surtout, privilégiant la relation directe, on sinvite dans des cantines dentreprise pour aller discuter avec les salariés, on occupe des lieux de toutes sortes (ANPE, CAF, agences EDF, compagnies de leau, journaux, restaurants etc.) pour dire à tous ce quon se dit en assemblée... On rencontre et manifeste notre complicité avec des grévistes de la COMATEC, avec des sans-papiers, avec des opposants au maïs transgénique membres de la Confédération paysanne, parce que nous avons réalisé avec eux que nos griefs particuliers relevaient de la même cause: largent, la thune, le pognon, le pèze, le flouze, lartiche, loseille, les pépettes, la caillasse, la némo, le blé, la maille, la fraîche, les ronds, le carbure quoi!
On essaye de réfléchir à la société que nous voudrions en expérimentant immédiatement certaines formes de réappropriation: une assemblée ouverte, permanente; lidée dun potager, pour sessayer à la vraie culture; des leçons de générosité aux commerçants, ces représentants zélés de légoïsme social; des jeux, des balades, des banquets où sesquissent dautres rapport sociaux... Comme le rèsumait lune dentre nous lors dune assemblée: Ça fait deux mois que jai plein damis, que je ne mennuie pas et que je nattends plus mon chèque de fin de mois avec la même angoisse.
On fait également savoir, dune autre manière, à certains de ceux que nous avons reconnus comme étant des ennemis de lhumanité (des huissiers, des banques, des marchands, des administrations, des journalistes...) que quand nous ne sommes plus isolés, leur ignominie quotidienne nest plus sans réponse...
Et toujours, on continue de se réunir dans cette assemblée... On boit et mange ensemble... On a subi la répression (la seule réponse du gouvernement au mouvement)... On sest battu pour la libération de quatre camarades emprisonnés... On réfléchit, on critique, et on se critique ensemble...
Et lon sest dit que non seulement il était prévisible quil ny aurait plus jamais de travail pour tout le monde (à cause des machines, à cause du néo-esclavagisme dans le dit Tiers-monde...), mais que quand bien même, nous navions envie de travailler aucune heure à produire des saloperies et de linutile, et que cétait toute la production quil fallait repenser, en fonction de nos besoins et de nos désirs réels. On sest dit encore que tout largent du monde, même divisé également entre tous, ne changerait concrètement presque rien à nos vies. (Tout largent quils cèderont nous le prendrons mais largent nest pas ce qui nous manque essentiellement.)
TANT QUIL Y AURA DE LARGENT, IL NY EN AURA JAMAIS ASSEZ POUR TOUT LE MONDE.
Ces réflexions partagées nous ont mené logiquement à la nécessité dinventer une autre société, dont les hommes décideraient eux-mêmes de leur activité et de leur production, au lieu dêtre les esclaves de celle-ci. On se rend compte évidemment que cest un projet gigantesque, mais après tout, beaucoup dentre nous étant chômeurs, nous possédons une richesse inestimable: LE TEMPS! Et désormais nous le prenons, car le projet dun temps réellement vécu nous est bien plus passionnant que le temps vide ou mesuré passé entre sa télé, son boulot ou son bureau daide sociale...
On se dit que ce sentiment, cette idée, sûrement des millions dentre nous la portent plus ou moins enfouie en eux; quil nous faut nous rencontrer, nous, les isolés, les dominés, pour ne plus lêtre... On commence à circuler, à sécrire. Un débat sébauche à Paris et en province. Des coordinations, des actions communes sorganisent.
Quant à la richesse véritable, pour nous, elle est à lopposé de la marchandise et de largent. En même temps nous découvrons que la richesse est dans nos échanges, dans nos menées communes, dans les prémices que portent les rêves dune autre société, humaine, que nous vous invitons à réfléchir avec nous.
[7 mars]
* * *
Si nous occupons aujourdhui lÉcole Normale Supérieure de la rue dUlm, cest dabord pour une raison pratique immédiate: il sagit douvrir à tous un forum où tout ce qui est discutable peut être discuté. [...] Lisolement des individus est la principale faiblesse des luttes passées et larme de choix du pouvoir présent. Et cest cela-même quil nous faut briser.
[ca. 17 janvier]
* * *
Si nous occupons aujourdhui le siège du Parti socialiste, 10, rue de Solférino, cest en réponse à lintervention télévisée du Premier ministre hier soir [...]. Notre mouvement, loin de toute revendication corporatiste, entend poser le problème général de lorganisation du travail, et les questions de fond de la société si soigneusement esquivées hier soir. Cest pourquoi, nous invitons chacun à étendre, continuer la lutte et à sauto-organiser.
[22 janvier]
* * *
Pas besoin dANPE
pour trouver une
O C C U P A T I O N
Assemblée générale tous les jours
sauf le week end à Jussieu à 18 H
* * *
Les balades sont des journées de rencontres actives et de jeux à léchelle de la ville et de la vie. Il est souhaitable quaucune routine ne sy installe que limagination de chacun sexprime et serve de tremplin. Certains trouve notre enthousiasme excessif. Il ne sagit pas de dire que nous sommes les meilleurs mais notre assemblage contient une graine de magie. Des liens se tissent peu à peu; nous nous réapproprions des morceaux de liberté; nos rêves, nos délires mêmes, conjugués, nous mènent à une réalité qui nous semble plus vibrante que celle dhier. Lhiver a été long, laissons fleurir le printemps!
* * *
La meilleure façon dabolir le chômage, cest dabolir le travail et largent qui lui sont associés.
* * *
Aussi est-il absurde de réclamer la création demplois; les richesses existent pour assurer la subsistance à toutes et à tous. Nous navons quà les partager. Quant au reste, une révolution sociale fermerait davantage dusines et supprimerait plus demplois nuisibles en douze heures que le capitalisme en douze ans. Pas question de continuer à fabriquer des colorants alimentaires, des porte-avions ou des contrats dassurance... Pas de plein emploi, une vie bien remplie!
* * *
Il est juste (moralement et stratégiquement) de réclamer par exemple que les jeunes puissent toucher le RMI, parce que leur situation apparaît comme une incohérence manifeste. De même, il est important dimposer la gratuité de tous les services publics pour les pauvres. Mais un mouvement social ne peut se contenter, en guise darguments, des contradictions et des mensonges de ladversaire; il doit mettre en avant ses propres exigences, cest-à-dire non seulement les raisons profondes de sa colère mais ses désirs. Sil ne le fait pas, il se borne à réclamer de la justice à ceux qui organisent linjustice et en vivent. Ainsi il part battu. Le fameux slogan SOYONS RÉALISTES DEMANDONS LIMPOSSIBLE! nest pas une simple provocation ou un bon mot poétique, cest réellement la voie du bon sens. [...] Salariés, étudiantes ou RMIstes, toutes et tous nous manquons dabord despace et de temps pour nous rencontrer, échanger nos rêves, inventer nos vies. Plutôt la débauche (de caresses et didées) que les embauches!
* * *
Jusquici la figure alarmant du chômeur a été instrumentalisée en terrorisme social par le système capitaliste afin faire accepter nimporte quel boulot même le plus absurde, à nimporte quelles conditions. [...] Nest-il pas temps de sinterroger sur le sens de ce que lon produit, de se poser ces questions essentielles: produire quoi? pour qui? pour quoi? comment? à quel coût écologique et social? [...] Arrêtons de nous en remettre à ces spécialistes du mensonge de bois qui prétendent parler en notre nom. À nous de décider de ce qui est possible, de ce que nous voulons, et des moyens pour lobtenir. À nous de reprendre en main notre vie individuelle et collective. À nous de nous réapproprier les moyens matériels que les possesseurs des pouvoirs politiques, financiers et médiatiques nous ont volés.
* * *
La liberté du chômeur est une liberté de ne rien faire, puisquen tant quindividu tous les moyens de production lui sont refusés. [...] Le chômeur est dangereux dans la mesure où il cherche à donner un contenu à sa liberté. [...] La véritable alternatif noppose pas le travail salarié au chômage, mais lactivité libre à lactivité aliénée. [...]
La fonction de notre mouvement pourrait être de constituer un plateau, une plate-forme darticulation de toutes les luttes parcellaires dans lesquelles nous parvenons à reconnaître le contenu universel de la lutte contre la marchandise. [...]
La contradiction essentielle de notre mouvement oppose le parti des revendications partielles représenté par les associations de chômeurs au parti du bouleversement, qui sexprime si librement dans les A.G. de Jussieu. En tant quorganisations réformistes et bureaucratiques, les associations de chômeurs ont des intérêts corporatistes, catégoriels, séparés et ne peuvent désirer la fin effective du chômage qui signifierait leur propre fin. Elles nont dautre objectif que de mener éternellement une lutte sans victoire au contenu absurde. Elles ont tout sauf intérêt à lélargissement du mouvement, qui alors leur échapperait. [...]
Il apparaît que lun des problèmes les plus urgents qui se pose à notre mouvement est de sortir du ghetto de la revendication corporatiste portant sur le chômage, de trouver ce point dexponentielle, dembrasement qui nous ralliera les autres catégories de la population, dobtenir une suspension du tempo tyrannique de la production. Un tel effet a été pour une part produit en 68 [...] Mais les organisations gauchistes bureaucratiques, si puissantes à lépoque, sont parvenues à les noyauter, comme cela était prévisible. [...] On a pu alors constater leffet renversant de ces petits groupes de quelques dizaines de personnes qui exécutaient leurs décisions dans la seconde même où ils les adoptaient. Ce ne fut dailleurs pas seulement laction quils libérèrent, mais aussi la parole, tant il est vrai que cest seulement dans la mesure où les hommes ont ensemble quelque chose à faire quils ont quelque chose à se dire.
* * *
Quant aux chômeurs eux-mêmes, dans leur immense majorité, ils restent prisonniers de leur isolement. Cette lutte est aujourdhui à la croisée des chemins: ou elle sépuise dans lexigence dune impossible réforme du système dindemnisation sociale qui pérennise le statut de chômeur, ou elle accède à la conscience supérieure de ce qui finalement la motive une remise en cause des rapports marchands qui ont déjà dévasté tout ce quil y avait dhumain dans notre société.
* * *
Certains sociologists ont qualifié notre génération d une génération sacrifiée. Or nous refusons de sacrifier nos vies pour leur Bourse, pour leur gouvernement, pour leur politique dintransigence. Nous menons une lutte quotidienne, organisée dune façon autonome. Nous navons pas de chefs. Notre assemblée générale est souveraine et ses comités sont sujets à la base. [...]
Camarades lycéens, sans un changement social et économique fondamental, nous serons les chômeurs futurs. Nous appelons à tous de soutenir le droit des chômeurs et des précaires de vivre convenablement. Nous sommes ceux qui créerons notre avenir. Ne laissons pas à dautres de le décider pour nous! Résistons!
[Nayant pas loriginal de ce tract du Comité dAction Lycéen, je
lai retraduit
à partir dune traduction anglaise parue dans la revue The
Nation.]
* * *
La fortune des 358 personnes les plus riches de la planète, milliardaires en dollars, est supérieure au revenu annuel de 45% dhabitants les plus pauvres de la planète, soit 2,6 milliards de personnes. (Le Monde diplomatique, février 1997). [...] Cest fort naïf que de compter aujourdhui sur des hommes détat compréhensifs pour satisfaire aux doléances des pauvres. Les gouvernants, quelle que soit leur étiquette politique, ne sont que des administrateurs au service des véritables maîtres du monde: les propriétaires des multinationales transplanétaires. [...]
Il faut avoir lesprit dentreprendre la création dune autre société. [...] Certes, cest une tâche plus compliquée quencaisser un chèque et retourner se coucher jusquau retour de la vache enragée, ou attendre que des hommes providentiels résolvent les problèmes à notre place. [...] Mais cest ça ou le triomphe du malheur. Agir ou subir, il faut choisir. Et puis, enfin... Voilà un travail digne dêtres humains!
[Bretagne]
* * *
Jeudi 8 janvier 1998, 200 militants de la Confédération paysanne ont investi des installations de stockage de maïs transgénique appartenant à la société Novartis. Là, ils ont abondamment arrosé les graines à la lance à incendie pour alerter lopinion sur les danger que feraient peser sur la santé de lêtre humain les manipulations génétiques appliquées aux plantes. Selon la Confédération paysanne, le maïs transgénique pourrait transmettre à lhomme une rèsistance à leffet de certains antibiotiques. (Le Monde, Dimanche-Lundi 19 Janvier). Il sagissait pour eux de sinsurger contre la décision du gouvernement français dautoriser la mise en culture de ces produits.
Le mal-nommé mouvement des chômeurs et précaires na pas manqué de retrouver dans cette action exemplaire une puissante fraternité avec sa propre action. Ce sont en effet les mêmes rapports marchands qui tendent à exclure une majorité des hommes de toute emprise sur leur propre vie, de toute existence sociale et de la prise de décisions collectives, et qui engagent une dégradation continuée des conditions les plus élémentaires de la survie par un saccage avéré de la nature et un empoisonnement généralisé de la population. [...] Dans la version désormais suicidaire du capitalisme, chaque pas fait dans le sens du Progrès nest quun pas vers la catastrophe. Lampleur du désastre, et la menace de son aggravation, mettent en cause la nature même dune société dominée par les rapports marchands, de façon vitale. Cest désormais CHACUN qui se trouve acculé par la simple nécessité de survivre à une transformation radicale de la société. [...]
Trois représentants de la Confédération Paysanne ont été, suite à cette action, mis en examen et placés sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter leur département et de se rencontrer. Tous les moyens dont nous disposons seront mis en uvre pour les soutenir, à commencer par notre participation à la grande manifestation de solidarité et de protestation devant le tribunal dAgen le 3 février 1998, jour du procès de ces trois syndicalistes.
—Assemblée générale de Jussieu (21 janvier)
* * *
Les techniques de domination évoluent si vite, plus vite même que les courbes du chômage ou des gains de productivité, quelles imposent à tous ceux qui ne sont pas du bon côté du manche de répondre rapidement à la question quil posait implicitement il ny a pas quatre ans: est-il encore possible de faire entendre la vérité quand tant de puissances, dÉtat et dargent, se liguent pour locculter? Comment, lorsquon est du côté des assourdis, des sans-voix, faire obstacle aux machinations que les marchands et leurs commis ourdissent au grand jour dans linsolent certitude où ils sont, non davoir nécessairement raison mais de nêtre pas contredits? Comment y parvenir en cas durgence?
Sagissant du maïs transgénique Novartis et de la révoltante complaisance avec laquelle lÉtat français a jugé bon den autoriser commercialisation et mise en culture en mentant sur lavis rendu par le Comité de Prévention et de Précaution quil avait lui-même désigné [...] mes camarades de la Confédération paysanne en tout cas, ont considéré quil y avait urgence à se dresser contre ceux qui voulaient imposer le fait accompli. [...]
En venant faire avec nous le premier procès public dune plante transgénique, qua-t-elle dit dautre, cette foule joyeuse et résolue [de manifestants] dont la rumeur nous est parvenue cet après-midi, sinon quelle intente en même temps le procès dun ordre social qui ne craint plus dannoncer quil assume le risque dempoisonner les hommes et leur planète au nom des équilibres financiers et de la libre circulation des marchandises?
René Riesel, Déclaration devant le Tribunal dAgen (3 février)
* * *
Comme elle lavait souhaité, le Confédération Paysanne a réussi à transformer le procès de ses trois militants, accusés davoir dénaturé le 8 janvier dernier un stock de maïs transgénique, en procès du maïs Cb de Novartis, fer de lance de lagro-industrie multinationale. Dix témoins scientifiques, paysans, défenseurs de lenvironnement, et représentantes des consommateurs ont expliqué devant le juge en quoi la décision gouvernementale dautoriser la mise en culture du maïs transgénique était prématurée et dangereuse. Durant le procès, 1800 personnes se sont rassemblées devant le tribunal afin dexprimer leur soutien aux trois prévenus, et dexiger avec eux un moratoire sur la culture et la vente du maïs génétiquement modifié. 292 organisations de 24 pays ont soutenu la manifestation. [...] Quelque soit lissue du procès(2), il marquera donc une étape importante dans la mobilisation internationale pour défendre lagriculture paysanne contre la tentative de mainmise des firmes chimiques et semencières.
Confédération Paysanne (3 février)
* * *
Ce quil vous faut, nous le savons mieux que vous
puisque nous sommes des spécialistes
Depuis que vous nous avec élus, nous navons pensé quà votre bonheur.
Nous sommes extrêmement préoccupés par le drame du chômage, cest pourquoi nous avons étudié toutes les solutions afin de vous éviter les affres de loisiveté qui est, comme chacun le sait, la mère de tous les vices , langoisse que lon découvre quand on peut soi-même décider de lemploi de sa propre vie.
Nos experts ont, après de savants calculs longs et coûteux, découvert la solution qui pourrait relancer le cycle de profits (qui seront évidemment partagés entre tous, comme dhabitude) à savoir la création du maximum demplois indispensables à la réalisation de lêtre humain tels que: remplisseur de caddy de supermarché, cireur de chaussures, promeneur du chien de la patronne, ouvreur de porte, et nous sommes sûrs que les millions de chômeurs seront heureux dêtre utiles à la société, ou même seulement à une partie dentre elle.
Certains esprits chagrins, toujours prompts à critiquer mais peu habiles à bâtir un futur rentable pour lhumanité, critiquent ce programme qui, nous le rappelons, est le seul possible si nous voulons sauver notre civilisation disant que ces emplois seraient inutiles et nuisibles. Ces utopistes criminels veulent placer lêtre humain au dessus des nécessités économiques et ainsi livrer notre pays à la barbarie comme lors des heures sombres de 1789-1793 ou des sanglantes exactions de la Commune.
Nous, nous avons su tirer les leçons de lhistoire et ne sommes pas prêts à tolérer que notre belle patrie qui assure à tous le bien être et la liberté dexpression, les loisirs et les jeux télévisés ne soit livrée aux prolétaires, ces barbares avinés sans aucune éducation... cest pourquoi, du haut de notre clairvoyance, pour assurer la sécurité de tous et le plein emploi nous avons décidé doffrir aux jeunes des centaines de milliers de postes de policiers auxiliaires, contrôleurs intérimaires, vigiles à temps partiel, indicateurs en remplacement.
Continuez à nous faire confiance, nallez pas à lassemblée des luttes où se retrouvent chômeurs, précaires, salariés et étudiants Lundi 19 janvier à 17h 30 sur lesplanade de la fac de Jussieu, cela ne servirait à rien et ne pourrait que nuire à votre propre cause qui est aussi le nôtre.
Votre gouvernement pluriel et sa majorité critique
(bien que daccord sur lessentiel)
NOTES
1. Pour lexamen détaillé des problèmes et des possibilités dune société de ce type et du pour et du contre de diverses tactiques pour y parvenir, voir La Joie de la Révolution de Ken Knabb.
2. Trois paysans José Bové, René Riesel et Francis Roux
ont été condamnés à payer 500 000 F de dommages à Novartis (ils nont pas
lintention de payer). Depuis leur action, la question est beaucoup plus largement
débattue, et le gouvernement français sest cru obligé de mettre sur pied un
jury public et indépendant pour faire une enquête sur les risques
éventuels du maïs transgénique.
Pour plus dinformation, sadresser à la
Confédération Paysanne: 81, avenue de la République, 93170 Bagnolet, France; ou à confpays@globenet.org (http://www.confederationpaysanne.fr).
Ces textes parus en janvier-mars 1998 sont les originaux
dun recueil en anglais, We Dont Want Full
Employment, We Want Full Lives! publié en Californie en avril 1998.
Lintroduction a été traduite de l'américain par Ken Knabb et Luc Mercier
et reproduite dans
Secrets Publics: Escarmouches choisies de Ken Knabb (Éditions
Sulliver).
Anti-copyright.
Traduction suèdoise de ces textes
Traduction indonésienne de ces textes
Traduction lette de l'Introduction de ces textes